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Focus sur WISEBAND: Plateforme direct-to-fan, basée en France

24 mai 2013 10:54

Au delà du travail relationnel à mener correctement sur les réseaux sociaux, la clé du succès d’une stratégie Direct-to-fan repose avant tout sur de bons outils technologiques.

Que cela soit en terme de marketing online (solution d’emailing, de widgets de partage de contenu, de suivi analytics etc.) ou de e-commerce (solutions de boutiques en ligne et distribution digitale sur les itunes and co), les artistes et labels doivent s’appuyer sur les bonnes plateformes, trouver des outils pratiques à utiliser, qui vont apporter la garantie aux fans de vivre de bonnes expériences lorsqu’ils vont streamer/télécharger des contenus promotionnels ou acheter de la musique.

De nombreuses sociétés, principalement aux US, se sont spécialisées depuis ces dernières années dans la proposition de services de ce type aux musiciens: De Bandcamp à Topspin, de Nimbit à Big Cartel en passant par ReverbNation, FanBridge, CDBaby, TuneCore et j’en passe… toutes ces startup ont mis la barre très haut avec une large gamme de services et de fonctionnalités qui permettent de piloter confortablement une stratégie D2F.
Mais étant pour la majorité anglo-saxons, toutes ses plateformes restent compliquées à utiliser pour les français: difficulté pour les fans non-anglophones de profiter pleinement des services, SAV en anglais, pas d’interlocuteurs à proximité etc.

Si le direct-to-fan en France est à la traine, c’est en partie parce que peu de start up françaises proposent des services suffisamment satisfaisants pour les artistes, labels, manageurs et les marketeurs. Mis à part quelques services basiques lancés par les aggrégateurs comme Believe/Zimbalam, IDOL – qui a notamment lancé une offre assez méconnue de boutique en ligne – ou le fabricant de disque et de merch Conflikarts avec des solutions adaptées aux indés, rien de transcendant du côté de chez nous… On est bien loin d’être des services performants et innovants des américains, voir des anglais et des nordiques.

La meilleure initiative du D2F à la française nous arrive de l’ouest: WISEBAND.
Naît des cendres de YOZIK (start up vendéene assez tôt positionnée sur le créneau D2F/indé, mais qui souffrait d’un terrible déficit d’image), la société vient de se re-lancer avec une refonte complète de sa plateforme et armée de nouvelles propositions pertinentes pour les indépendants. Fort du soutien financier d’un fond d’investissement local, de nouvelles recrues transfuges de l’industrie musicale (Wagram) et toujours de son équipe d’ingénieurs talentueux, WISEBAND propose aujourd’hui une large gamme de services destinés aussi bien aux auto-prods qu’aux labels plus importants (notamment Because, certainement l’un des meilleurs labels français).

Les services proposés par Wiseband incluent notamment:

  • La création de e-boutiques basic et premium, capables de gérer le digital, le physique, les bundles, les codes promos, les pré-commandes, reportings de ventes etc.
  • La logistique (toute la chaine de stockage dans leur entrepôt à l’expedition et l’inventaire)
  • La distribution digitale sur les shops de téléchargement à-la-iTunes, les services d’abonnement streaming et la monétisation des videos sur Youtube
  • La fabrication de merch (Pressage des disques, produits dérivés, impressions de flyers, stickers, affiches etc.)
  • Des outils marketing online (Players audio, widgets ’email for media’, Newsletter etc.)

TEAMS et Wiseband travaillent actuellement ensemble sur plusieurs projets qui verront le jour très bientôt (une campagne sur le nouvel album de Piers Faccini, la boutique du label Heavenly Sweetness, des projets à venir avec Brisa Roché). Je me suis rendus dernièrement dans leur locaux à la Roche-sur-Yon et j’en ai profité pour poser quelques questions à Henri-Pierre Mousset aka Mouss, le PDG de la société:

Peux-tu nous faire un rapide historique de la société de Yozik à Wiseband / L’évolution des services proposés ?

Wiseband est l’aboutissement du projet Yozik que j’ai démarré en 2007 après avoir découvert les possibilités qu’offrait internet pour les artistes de mon label Yotanka. Il s’agissait déjà de proposer une solution de vente directe aux fans depuis le site internet de l’artiste, simple à installer et à mettre à jour. La promotion des artistes était également au coeur du projet à partir d’outils simples comme le téléchargement gratuit contre email ou la diffusion de playlists, de news ou de concerts dans différents formats de flux. Nous avons été ensuite amené à proposer une distribution digitale aux artistes qui cherchaient des solutions pour accéder aux plateformes de téléchargement sans passer par un label. Enfin dernièrement nous avons mis en ligne un deviseur en ligne qui permet de lancer et suivre la fabrication de CD, vinyles ou tee-shirts, ce que nous faisons d’une manière directe depuis plusieurs années.

Qui sont aujourd’hui les clients de Wiseband ? Quels sont les exemples les plus parlant de labels ou d’artistes qui utilisent le service avec succès ?

Nous travaillons aussi bien avec
– des artistes indépendants et autoproduits comme Les Camélélons ou Hors Controle
– des labels indépendants comme Piano Classics ou Abalone
– des labels établis et internationaux comme Because Music ou Sakifo
– et des festivals comme les Vieilles Charrues ou Couvre Feu

Combien de personnes travaillent chez Wiseband ? comment se répartissent les équipes ?

Actuellement nous sommes 14 permanents, qui travaillent pour moitié au développement informatique de nos sites internet et de sites d’artistes et de labels, et pour moitié au support client et à la logistique.

Il y a différents outils marketing proposés par Wiseband comme les players ou un outil de newsletter. Quel intérêt pour vos clients d’utiliser vos outils plutôt que d’autres comme soundcloud, bandcamp, reverbnation, mailchimp ?

La centralisation des données (ventes, liste de fans) et des contenus (fichiers audio) permet de simplifier le travail de l’artiste ou de son manager. Surtout les services externes ne doivent jamais remplacer la présence de l’artiste sur internet par son propre site, qui est la garantie de la pérennité et du contrôle de son image. C’est ce qu’ont appris à beaucoup de groupes avec l’expérience Myspace.

Peux-tu rapidement nous parler de la dynamique actuelle de l’industrie de la musique et de comment tu vois le marché de ton point de vue?

Le marché physique finira sa mue avec la disparition des grandes chaines de magasins de disques et les rayons CD dans les grandes surfaces en 2014 en France, au profit de la VPC. Il restera un marché de niche chez les disquaires indépendants et dans le vinyle. De l’autre côté le streaming va certainement s’imposer comme mode de consommation privilégié de la musique digitale, ce qui rendra encore plus difficile l’amortissement des coûts d’enregistrement et surtout de promotion, car cet usage rapporte finalement moins que le téléchargement. Nous croyons de notre coté qu’une offre directe permet à l’artiste de mieux gérer ses ventes et ses fans, ce que voient concrètement les artistes qui travaillent avec nous dans l’évolution de leurs ventes.

Il semble qu’il y ait un grand fossé entre les gens de la technologie et ceux de l’industrie de la musique… Est que vous rencontrez encore beaucoup de gens dans le monde de la musique qui ne comprennent rien à l’Internet et à la technologie?

Oui, bien que chez les artistes en développement l’attrait d’internet est très fort, dans l’espoir de se faire repérer. Ce fossé parle aussi des développeurs et start ups qui n’y connaissent rien à la musique et aux artistes. Je trouve que les artistes sont finalement assez aguerris après vécu plusieurs effets de mode pour telle ou telle plateforme. Pour ceux qui ne sont pas technophiles, nous gérons leur présence sur internet de A à Z.

Quels sont les grands chantiers actuellement en cours chez Wiseband ?

Nous venons de mettre à jour notre service et notre infrastructure, et actuellement nous améliorons les services en permanence, comme la possibilité d’expédier en relais colis, la prise en compte de nos ventes dans les charts ou le paiement par SMS.
Je suis personnellement très excité par les outils de connection avec les réseaux sociaux que nous développons actuellement : like ou tweet pour écouter en streaming, like ou tweet contre download, player à partager, email contre download et les possibilités de gestion des fans que ces outils vont permettre, en parallèle de la gestion de la newslist et de l’envoi de newsletter qui reste l’outil principal de connection avec les fans. Nous proposerons ces services au mois de juin.
Pour la rentrée nous travaillons également pour proposer aux artistes un nom de domaine et un hébergement simple et adapté pour leur site internet, un EPK ou des pages promo avec accès protégé pour préparer leurs sorties d’album ou de single.
Enfin nous avons également un projet de recherche fondamentale sur la reconnaissance et la recommandation musicale avec les laboratoires de l’IRCAM et du LINA (Nantes).

Quelles sont les ambitions de la société à moyen-long terme ?
Nous voulons être le leader européen du « direct to fan », c’est pourquoi nous nous établissons actuellement en angleterre, en plus de l’allemagne et de l’espagne où nous avons déjà des partenaires.

Retrouvez toutes les infos sur Wiseband ici:
www.wiseband.fr/
merch.wiseband.com
@wiseband
Facebook/wiseband

Bandcamp ouvre ses pages aux utilisateurs pour aider les artistes à booster leurs ventes D2F

11 janvier 2013 14:26

S’il y a bien un endroit où les fans de musique indé aiment traîner pour découvrir et acheter des albums, c’est sur Bandcamp.

Vous aurez sûrement remarqué que sur ce blog nous aimons relater (comme ici ou ) les évolutions de ce service, car nous partageons complètement la philosophie de la start up californienne et que nous aimons conseiller aux artistes DIY d’utiliser cette plateforme pour gérer leurs ventes direct-to-fan.

Aujourd’hui Bandcamp vient de lancer une nouvelle fonctionnalité qui nous fait une fois de plus penser que tous les musiciens et labels indépendants ont un réél intérêt à y proposer leur musique: BANDCAMP FOR FANS

Qu’est ce que c’est ? Les utilisateurs (les non-musiciens) peuvent maintenant ouvrir une page profil, s’abonner aux pages des artistes, suivre d’autres utilisateurs, exposer leur « Collection » (les albums qu’ils ont acheté sur Bandcamp), et explorer les collections d’autres personnes. Et comme il s’agit avant tout de e-commerce, il y a aussi une fonctionnalité « wish-list » bien pratique qui permet de bookmarker des albums intéressants, à acheter plus tard.

Pour connaitre le détail de toutes les fonctionnalités, vous devriez jeter un oeil à leur blog ici

Ce qui est important à savoir, c’est que Bandcamp ne se contente pas de prendre un virage social juste-pour-le-principe, c’est surtout un solide procédé d’incitation à la vente, qui devrait largement profiter aux musiciens et labels utilisant la plateforme.

Bandcamp prend en compte une chose essentielle que les gros services de musique sur le web n’ont pas bien intégré: un fan de musique est FIER de posséder des albums, et il aime montrer sa collection musicale.

Cette nouvelle stratégie d’incitation à la vente est double:

  • L’utilisateur de Bandcamp va vouloir exposer sur sa page la musique qu’il soutient – un peu comme des petits trophés – et c’est probablement une motivation supplémentaire pour lui de faire d’autres achats.
  • ‘Bandcamp for fans’ est un formidable outil de découverte et un service de recommendation qui va s’avérer performant car basé sur une communauté de fans crédibles (ils ne « consomment » pas bêtement, ils achètent vraiment).

La découverte et la recommendation de la part de prescripteurs sont les enjeux majeurs du futur de la musique.
Là où peut être 1 personne sur 10 sur Facebook (et encore…) est susceptible de vous recommender un groupe inconnu qui va vous plaire, sur Bandcamp l’indice de confiance à propos d’une découverte musicale sera largement plus élevé, car le système social se base sur une communauté de gens passionnés, pointus et qui payent pour la musique.

Les partages à tout va, les likes, les followers, tout ça, c’était marrant au début mais au final à quoi ça sert ?
Bandcamp construit son réseau social sur la conviction que le partage d’un achat est plus important que le partage d’un simple « intérêt ». Et c’est essentiel!. (Au secours, le nouveau MYSPACE!)

Comprenez bien que pour un passionné de musique, une preuve d’achat signale un niveau d’intérêt largement supérieur qu’une musique partagée ici ou là par on-ne-sait quel collègue de bureau ou ancien camarde de maternelle… C’est ici toute la différence avec les fonctions sociales proposées par des sociétés comme Spotify ou Deezer.
Certes les revenus provenant des services streaming pourront probablement s’accumuler avec le temps et la quantité, mais les artistes indépendants peuvent gagner beaucoup plus rapidement en vendant des objets physiques. Et c’est bien là l’objectif principal de services comme Bandcamp ou Topspin. [Allez, on parie que Daisy – le futur service de musique de Beats By Dre, dirigé par Ian Rogers, Jimmy Lovine et Trent Reznor – reposera entièrement sur ce concept ? ^^]

D’après les derniers communiqués, les artistes sur Bandcamp ont générés près de $30 millions en vendant des téléchargements, des vinyles, des t-shirts ou encore des cassettes audio. Le site vendrait environ 10.000 albums par jour!
Il y a fort à parier, qu’avec ces nouvelles fonctionnalités sociales, les artistes présents sur Bandcamp vont encore largement booster leur ventes..

Alors si vous faites de la musique et que n’êtes pas encore sur Bandcamp, pensez y sérieusement…

Pour créer maintenant votre profil utilisateur, c’est par ici

Storytelling 2.0

16 mai 2012 11:07

Il y a quelques mois j’ai reçu un email de Chloé (@BlankPistol), étudiante à Science Po Grenoble. Elle me demandait ce que je pensais du ‘Transmedia’ (le quoi ??), et si ca me semblait être une solution durable pour constituer un modèle économique viable dans le secteur de la musique (heu ??).

On a depuis pas mal échangé sur comment le multimedia devait servir à engager et fédérer une communauté loyale, ainsi que de l’importance pour les artistes de ne plus seulement proposer de la musique, mais aussi une expérience enrichie qui va servir à instaurer une vraie relation durable avec le public.

Si on réfléchit à cela, on arrive vite à la déduction que le point départ essentiel est de parvenir à raconter et partager des bons récits (le Storytelling!).

Libérer l’Histoire, raconter avec brio le concept inhérent à un projet musical ou ce qui a déclenché l’écriture d’un morceau, d’un album, ou d’une discographie, c’est finalement ce qui va provoquer une vraie curiosité (et peut être de la passion) en marge de l’écoute d’une bonne chanson découverte ici ou là…

Chloé m’a fait parvenir pas mal de documents et des liens particulièrement captivants sur le Storytelling transmedia (= l’extension narrative d’une histoire sur plusieurs médias: différents chapitres sur différents supports). De quoi me convaincre que le transmedia est une excellente façon de déployer une stratégie marketing originale, voir un bon moyen supplémentaire de monnétiser la musique.

Je lui ai proposé de rédiger une synthèse sur ce blog pour partager ses connaissances avec nos lecteurs, et ella a gentiment accepté. Voici son article, bonne lecture!

Nul n’est besoin d’expliquer encore que le secteur de l’industrie musicale, qui nous fait subir ses râles d’agonie plus ou moins convaincants depuis quelques années déjà, est à la recherche d’un nouveau souffle, ou dit de façon plus terre-à-terre, d’un nouveau modèle économique. Les modes de consommation de la musique ont été bouleversés et avec eux les habitudes et les exigences du public.

La musique, comme le remarque très justement Mike Masnick du blog Techdirt, est devenu un bien de consommation « gratuit », c’est à dire infiniment disponible. Masnick prend comme exemple l’eau potable, facilement accessible et abondante, et représentant pourtant une industrie brassant des millions. L’enjeu est donc d’arriver à monétiser un bien « infini » ou du moins infiniment disponible.
La solution appliquée à la musique est, du moins en apparence, très simple: il faut abandonner ce qui est infini, c’est-à-dire l’œuvre musicale en elle-même, à la gratuité, et vendre ce qui reste rare et ne peut être piraté, à savoir l’expérience de la musique. L’enjeu clé est donc celui de la valeur ajoutée.

Le transmedia, c’est quoi cette chose?

La définition du « pape » du transmedia, Henry Jenkins, parue en 2003 dans son article Technology Review, renvoie à la notion d’une expérience «d’entertainment unifiée et coordonnée»:

«Transmedia storytelling represents a process where integral elements of a fiction get dispersed systematically across multiple delivery channels for the purpose of creating a unified and coordinated entertainment experience. Ideally, each medium makes it own unique contribution to the unfolding of the story».

Le terme de transmedia est en réalité apparu en 1991 lorsque Marsha Kinder, alors professeur à USC (Université de Californie du Sud), mentionna des «commercial transmedia supersystems» dans son livre Playing with Power in Movies, Television and video Games pour évoquer le pouvoir de la narration transmedia dans la relation entre le public et la manipulation commerciale.

La définition la plus connue reste celle de Jenkins. Ce dernier est le doyen du département de communication, journalisme et arts du cinéma à l’USC après avoir été durant dix ans directeur du programme d’études comparées des médias au Massachusetts Institute of Technology (MIT). Il est l’auteur d’une douzaine de livres sur divers aspects des médias et de la culture de masse.

Plus récemment, Jeff Gomez, président et PDG de Starlight Runner Entertainment, a proposée sa propre définition en 2010 qui présente le transmedia comme le processus de transmission d’un message dense, un sujet ou d’un scénario, à un public de masse utilisant des plateformes média multiples. Chaque partie de l’histoire est unique et s’appuie sur les forces de chaque média, et souvent, le public est invité à participer et à interagir avec la narration.

Pour un approfondissement du lexique médias, cross media et autres bestioles étranges, voici un lien très instructif: Transmedia Lab.

Mais pour faire court, la principale caractéristique du transmedia est le travail sur le storytelling et la délinéarisation de la narration: plutôt que de simplement transférer un même contenu sur une autre plateforme, on choisit d’enrichir un univers narratif en captant l’attention du public par des biais différents (web, télé, musique, cinéma…). En ce qui concerne le domaine de la musique, la tâche est presque facilitée, puisque le point de départ de l’univers étant un album, une chanson, ou toute une œuvre, et non une « histoire » à proprement parler, comme dans un film ou un livre, la narration est déjà non linéaire et sujette à des interprétations multiples.

Et puis d’abord ça sert à quoi le transmedia?

Le fait d’utiliser plusieurs plateformes et donc de capter l’attention d’un public forcément plus large, facilite évidemment la mise en place d’une « expérience » enrichie de la musique. En effet, l’utilisateur ne va pas seulement être limité au rôle passif d’auditeur d’un morceau ou d’un album, puisque son attention va être sollicitée à différents niveaux et va lui donner la possibilité de se plonger complètement dans l’univers d’un artiste.

Revenons – en à la théorie de Mike Masnick. Dans une période où la musique est devenue un bien largement disponible, pour lequel les gens ne sont plus disposés à payer, il faut trouver autre chose à monétiser, et donc trouver quelque chose à ajouter à la musique qui « vaille le coup » de dépenser de l’argent. Il élabore donc une formule très simple qui pourrait constituer selon lui un business model viable pour les industries de biens infinis et donc l’industrie musicale:

CwF + RtB = $$$$
Connect with fans + reason to buy = sustainable business model.

=> connexion avec les fans, construction d’une solide relation + “raison d’acheter”. La décision d’acheter dénote un geste signifiant et significatif pour la personne qui la prend, d’où l’idée de construire une relation durable avec cette personne ou cette communauté de personnes. Le transmedia à lui seul peut permettre une connexion accrue avec les fans (multiplication des plateformes), et en ajoutant une énorme plus-value au contenu, leur donner une raison d’acheter.

Avec le transmedia, l’interconnexion des contenus recrée de la rareté. Les contenus se piratent, mais pas l’expérience que l’on en fait. Des musiciens comme Nine Inch Nails, Björk, Lady Gaga, Arcade Fire l’ont bien compris. Ils cultivent auprès de leurs fans un univers artistique dense constitué de contenus ne se cantonnant pas qu’à la musique. Liés entre eux, ces contenus (concerts compris) procurent une expérience tout à fait unique qui constitue un nouveau gisement à monétiser.

Nous avions mentionné plus haut la comparaison de la musique à l’eau courante. Pour Robert Pratten (fondateur de “Transmedia Storyteller”) la musique devrait plutôt être comparée à un parfum: vendre du rêve pas seulement du son. Le transmedia peut aider les artistes à proposer des expériences parallèles ancrées dans leurs univers musicaux en engageant leurs communautés de manière sincère avec une communication ininterrompue.

Le storytelling prend là toute son importance: les histoires retiennent toujours l’attention, car statistiquement le cerveau humain a tendance à rechercher du sens même là où il n’y en a pas forcément (Robert Pratten). D’où l’intérêt de développer des univers narratifs dans la musique. En effet, chaque chanson en soi constitue déjà une histoire plus ou moins identifiable avec un début, un milieu et une fin.
Si l’on veut éviter que les auditeurs ne sélectionnent les chansons une à une (pratique facilitée par le téléchargement et le streaming qui décuplent l’exigence des consommateurs), il faut inscrire ces chansons, et donc ces histoires, dans une arche narrative plus large, celle de l’album, qui pourrait lui-même constituer une histoire dont les chansons serait donc des chapitres. Enfin, le concept peut être élargi et par un effet de mise en abime, faire qu’un album soit également un chapitre d’une histoire ou d’un univers global constitué tout au long de la carrière d’un artiste.

Parlons concret!

Ce mot barbare de transmedia recouvre en fait une réalité pratiquée ou ébauchée depuis longtemps. Sur certains forums ou sujets (notamment le groupe LinkedIn sur le Transmedia Storytelling) certaines avançaient même que les Beatles étaient déjà transmedia, notamment avec « l’ARG » (Alternate Reality Game) qui s’était créé autour de «Paul is Dead», le mythe selon lequel Paul Mc Cartney serait mort et aurait été remplacé par un sosie. L’argument est selon moi un peu tiré par les cheveux dans le sens où ce buzz à l’ancienne n’est bien sûr absolument pas parti du groupe, mais d’une bande d’étudiants qui n’avaient sans doute rien trouvé de mieux à faire ce jour-là. Il est vrai que le buzz s’est ensuite transformé en chasse internationale aux indices et est devenu un mythe urbain apparaissant sporadiquement dans d’autres secteurs que celui de la musique (les Simpson, la BD Batman…). Pour un point de vue intéressant sur ce phénomène voir ici.

Sinon il existe de nombreux exemples plus actuels et plus crédibles. NIN, Gorillaz, Arcade Fire, Björk, Tori Amos.

Le premier groupe a avoir vraiment innové dans ce domaine est bien sûr Gorillaz qui dès 2001 a créé tout un storyworld non seulement autour de l’album mais aussi autour des membres du groupe eux-mêmes. Ces derniers sont représentés comme des personnages de bande dessinée qui vivent en multiplateforme. Une histoire est construite pour chaque clip vidéo autour de leurs avatars rapidement identifiables. Le groupe a gardé ce concept tout au long de sa carrière. Ainsi, « Journey to Plastic Beach» est un dessin animé de 15 minutes qui présente le voyage de Murdoc vers l’île de Plastique, là où le personnage aurait conçu le dernier album de Gorillaz Plastic Beach. L’histoire continue en racontant ses efforts pour retrouver tous les alter egos des membres du groupe et ses péripéties abracadabrantes pour retrouver l’esprit des Gorillaz.

Le plus gros travail transmedia réalisé autour d’un album à ce jour est celui de Nine Inch Nails. En 2007 est créée une ARG à l’occasion de la sortie de l’album « Year Zero ». Dans cette chasse au trésor en réalité alternée, les indices étaient fournis à travers des indices textuels sur des T-shirts NIN et des singles du nouvel album stockés sur des clefs USB. Le tout caché dans des toilettes sur les lieux de leurs concerts, sur des sites Internet ou via des numéros de téléphone. Tous ces éléments aidaient les joueurs à avancer dans l’histoire sombre de Year Zero: un monde rongé par une guerre infinie et une catastrophe environnementale. Le but de ce projet était de faire vivre aux fans une expérience en lien avec l’univers de l’album. Le leader du groupe, Trent Reznor, qualifie cette expérience de «nouvelle forme de divertissement». Selon lui, l’effet combiné du divertissement, du bouche à oreille et de l’engagement du public fait de cet ARG un parfait outil pour promouvoir son album.
Le cas Nine Inch Nails a d’ailleurs été étudié par Mike Masnick au MidemNet 2009 qui a expliqué pourquoi selon lui le projet de NIN représente le futur de l’industrie musicale. La recette du succès de Trent Reznor correspond en fait à la « formule magique » de Mike Masnick (CwF + RtB): CwF (chasse au trésor + ARG) = réunion des fans, excitation, amusement => raison d’acheter l’album.
Après cette expérience Reznor a quitté son label (Interscope Records propriété d’Universal), ce qui ne l’a pas empêché de poursuivre ses initiatives. L’album suivant, « Ghost I-IV » (créé sous licence Creative Commons!), a ainsi été mis à disposition en plusieurs versions à différents prix selon le contenu offert. La version limitée ultra deluxe de l’album à 300$ (signée par Trent Reznor) a été épuisée en 30 heures, ce qui est assez remarquable lorsque l’on pense que cette musique était à la base disponible gratuitement! Si l’on compte les ventes de toutes les versions, NIN a gagné 1,6M$ en une semaine sans l’aide d’aucun label ce qui prouve bien que le prix n’est pas le vrai problème, c’est l’offre d’un contenu riche qui vaut son prix.

A un niveau moins « fouillé » Tori Amos en 2008 sort Comic Book Tattoo une mise en BD de plus d’une cinquantaine de ses chansons grâce à une collaboration de 80 artistes.

Enfin le dispositif le plus récent est celui que Björk a dépoyé autour de « Biophilia » – un concept-album sur “l’inhumain qui tente d’établir une connexion profonde entre musique d’une part et le microscopique-biologique-macroscopique de l’autre”. Cette initiative a reçu en novembre 2011 le prix “Digital Genius“ qui récompense «les artistes qui utilisent la technologie et l’innovation dans la musique», décerné par les O Music Awards (MTV). Premier album-application, Biophilia est considéré par le Guardian comme “le futur de l’industrie musicale” et représente ce qui se rapproche le plus d’une œuvre d’art interactive. Pour un descriptif complet du dispositif et un regard critique voir ici.

A noter aussi que le transmedia n’est pas le privilège de groupes “bankable” et peut-être développé par des groupes plus modestes. Hail the Vilain a par exemple créé en juin 2010 une véritable histoire interactive autour de leur premier album se déployant sur plusieurs supports: site web interactif (interaction directe avec le groupe via webcam), deux bandes dessinées et un comic book en projet. Une autre formation, We the Kings, a présenté en novembre 2011 un clip très novateur: une vidéo interactive pensée comme un jeu vidéo. Le joueur incarne l’un des quatre membres du groupe pour sauver une jeune fille en détresse. Il aura sept étapes à franchir pour accéder à la fille et par là même à la fin du clip.

Il existe aussi des dispositifs très intéressants mais plus axés marketing: par exemple les « chasses au trésor » organisées par Muse, AC/DC ou Jay-Z. Ce genre de dispositif peut être amusant, très bien fait, et renforcer la cohésion d’une communauté de fans à travers le jeu, mais cela reste un outil marketing au service de la promotion de la sortie d’un album ou d’un concert.

Personnellement je placerai la barre assez haut, en ce qui concerne les œuvres qui «méritent» l’appellation transmedia. Ce qui ne veut pas dire que le but est forcément désintéressé: les différentes pièces du dispositif (dessins, vidéos..) seront certainement commercialisées, mais pour moi, elles ne servent pas uniquement la promotion d’un événement type concert ou sortie d’album.

Marche à suivre

Selon moi, le but est de ne jamais tomber dans l’artificiel: si un musicien ne souhaite pas explorer d’autres domaines artistiques, ou souhaite vraiment les dissocier de sa musique, libre à lui. Il faut toujours que le concept de base qui définit l’univers narratif parte du groupe ou de l’artiste. La maison de disque ou différents partenaires peuvent aider à la réalisation du dispositif, ou même apporter leurs suggestions et leurs idées, mais il faut éviter que «l’univers» soit ne soit conçu comme un concept creux, élaboré par des personnes n’ayant rien à voir avec le groupe, et qui se retrouve plaqué sur un album.

Les questions qui se posent bien sûr sont celles de la durée dans le temps et du degré d’engagement de l’artiste. L’élaboration d’un dispositif transmedia est très chronophage et demande une attention permanente même sur des détails pour un résultat de qualité. Donc encore une fois, le projet doit vraiment partir d’une volonté profonde des artistes d’enrichir leurs univers, même si le dispositif n’a pas à forcément verser dans le gigantisme.

Pour conclure on pourrait dire que dans l’idée, le développement de l’univers narratif devrait se rapprocher plus du concept d’œuvre d’art totale que du buzz marketing. Il peut donner l’occasion à des musiciens qui exercent eux-même d’autres activités artistiques, ou qui désirent contacter d’autres artistes pour collaborer à leur œuvre, d’offrir à leur public une véritable expérience enrichie de leur musique, qui prendra alors un sens nouveau selon les supports utilisés. Le contenu peut ensuite être enrichi et développé par les fans eux-mêmes (et le sera d’ailleurs sûrement si le contenu d’origine est réussi et intéressant), mais l’impulsion de base doit venir des artistes.

Guest post écrit par Chloé Corbelin, actuellement en master Transmedia à Sciences Po Grenoble.
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